MOLLY HATCHET À L’ÉLYSÉE MONTMARTRE LE 18 MARS 1990
SOUTHERN ROCK REVENGE (Photos de Georges Amann)N ROCK REVENGE (Photos de Georges Amann)
Sept longues années s'étaient écoulées depuis le passage de Danny Joe Brown et de sa bande à la Mutualité. Les années 80 venaient juste de rendre l'âme. Le paysage musical avait complètement changé. Finis les délires et la démesure du hard rock. Terminés la révolte primaire et le fun du rockabilly. La bande FM ne passait que de la soupe et les échos du hip hop et du rap annonçaient le début de la fin en matière de talent. Quant au rock sudiste, son glas avait sonné il y a bien longtemps déjà. Mettons de côté ZZ Top, appartenant plus spécifiquement à la culture du Texas. Leur album "Eliminator", datant de 1983, avait d'abord surpris tout le monde mais avait finalement fait mouche (après, les disques suivants ne seront qu'une pâle copie de ce succès planétaire).
Pour le rock sudiste proprement dit, le déclin avait déjà commencé. Molly Hatchet nous avait concocté un superbe album en 1983 ("No guts, no glory") qui avait ravi tous les fans du groupe. Malheureusement, aux U.S.A., le « Southern rock » n'était déjà plus à la mode et le combo n'avait pas atteint le Top 10 des ventes. Une mésentente sournoise avait pointé le bout de son museau, rongeant l'unité déjà fragile du groupe. S'ensuivirent des tournées désorganisées, le départ de Steve Holland et un album affreux en 1984 ("The deed is done") où des claviers insipides assassinaient sans pitié les rares envolées de guitares. Bien sûr, nous fûmes tous contents de la sortie du "Double trouble live", mais ce disque ne put relever le niveau. Et le groupe commença sa descente aux enfers.
Blackfoot, après un album studio décoiffant ("Marauder") et un live d'anthologie, avait quitté le sentier de la guerre. Discrètement tout d'abord, avec le disque "Siogo" en 1983 (et l'ajout du clavier Ken Hensley, ancien Huriah Heep) qui tapait vers la FM mais présentait quand même des moments forts. Puis, le virage amorcé s'était confirmé en 1984 avec l'infâme "Vertical smiles", plein de nappes de synthés hors de propos et avec une batterie en carton (le comble pour ce groupe qui possédait l'un des meilleurs frappeurs au monde). Enfin, le groupe s'était dissous, nous jouant un mauvais remake de Little Big Horn avec, dans le rôle principal, un Rickey Medlocke passé à l'ennemi (son album solo flirtant carrément avec le funk et la variété américaine calibrée pour le passage en radio).
Doc Holliday avait sorti un album déroutant, surtout après leur précédent chef d'œuvre, "Doc Holliday rides again". Et ce n'était pas mieux du côté du Johnny Van Zant Band. Même Point Blank avait cédé à la tentation et sorti un disque avec des claviers aussi envahissants qu'aseptisés ("On a roll"). Quant aux gars de 38 Special, ils continuaient dans la voie rock FM qu'ils s'étaient tracée. La guerre était finie et la Confédération définitivement vaincue.
Bien sûr, les changements d'orientation musicale de tous ces groupes résultaient souvent de la politique commerciale des maisons de disques. Mais, ignorant tout cela à l'époque, nous étions surtout salement déçus par nos héros, les qualifiant sans retenue de lâcheurs et d'opportunistes. Et comme si cela ne suffisait pas, la technologie s'attaquait violemment à nos chères galettes vinyles en lançant le « compact disc » sur l'orbite du succès.
Plongeant sans arrêt dans mes souvenirs, chérissant toujours mes idoles défuntes et écoutant sans relâche mes vieux 33 tours, j'avais la sensation aigre-douce d'être l'un des derniers rebelles en vie, d'appartenir à une race en voie d'extinction.
Puis, au cours de l'année 1989, "Lightning strikes twice", le dernier album en date de Molly Hatchet, fit son apparition dans les bacs. Évidemment, je m'empressai de l'acheter mais c'est avec une certaine appréhension que je le posai sur ma platine. Serait-ce encore un disque décevant comme "The deed is done"? Dès les premières mesures, le doute n'était plus permis. La vieille Molly renaissait de ses cendres. Un peu amochée, certes, mais toujours vaillante. Dave Hlubek avait quitté le groupe pour soigner un léger problème d'accoutumance à d'illégales substances mais Danny Joe Brown restait aux commandes avec un Duane Roland égal à lui-même, s'occupant des solos "old school", tandis que les phrases de guitare "new age" étaient à la charge de Bobby Ingram (ancien membre du Danny Joe Brown Band). Bruce Crump (batteur originel du groupe) et Riff West (bassiste attitré depuis "No guts, no glory") alignaient une rythmique imparable. Quant aux claviers tenus par John Galvin (lui aussi ancien du Danny Joe Brown Band et crédité sur "No guts, No glory"), ils sonnaient de façon traditionnelle (orgue et piano) et s'intégraient parfaitement au climat général du disque. Et toujours la voix inimitable de Danny Joe. Les morceaux, bien que produits avec un son plus moderne, s'inscrivaient bien, pour la plupart, dans la tradition sudiste. "Take miss Lucy home" (un titre enlevé), "No room on the crew" (avec son dobro country blues), "There goes the neighborhood" (un rock endiablé) cartonnaient honnêtement. La superbe ballade "Goodbye to love" et l'excellent « Southern boogie » "I can't be watching you" se révélaient comme des classiques en puissance, prenant aux tripes et fleurant bon le Sud profond.
Au début de l'année 1990, dès l'annonce du passage de Molly Hatchet en France, j'achetai ma place sans hésitation, attendant fébrilement la date du concert.
Le soir du 18 mars (un dimanche), je me pointe serein et enthousiaste devant l’Élysée Montmartre. Je suis parmi les premiers arrivants et je me cale d'autorité devant la lourde. Je veux être au premier rang pour voir mes idoles au plus près. De plus, j'ai la ferme intention de prendre des photos. Mon pote Richard, que j'ai convaincu de l'importance capitale de ce concert, me rejoint bientôt et nous passons le temps en échangeant des propos musicaux ainsi que d'énormes conneries. On se marre bien. La file d'attente ne tarde pas à s'allonger et j'aperçois quelques trognes typiques des shows de « Southern rock » et de « hard rock ». Les barbus et chevelus de rigueur ont fait le déplacement. Dans la rue, deux hardos déambulent nonchalamment. Ils sont sapés dans le plus pur style "Los Angeles" (cheveux mi-longs péroxydés, colliers, bracelets et bottes à clous) et portent chacun un T-shirt aux couleurs de Molly Hatchet. J'avise aussi un type avec un T-shirt de Doc Holliday. Mais la palme revient à un mec entièrement vêtu de noir (bottes, jean, débardeur et gilet en cuir). Son visage en lame de couteau et ses longs cheveux corbeau domestiqués par un bandana (noir également) lui confèrent une allure à la "Joe l'Indien". En outre, il est doté d'une paire de biceps non négligeables. Bien que relativement propre sur lui, il a tout du parfait routard. Il est accompagné de deux énormes toutous, grosses boules de poils assoiffées de caresses. Moi qui adore les chiens, je les trouve mignons. Pour le commun des mortels, ce seraient plutôt deux monstruosités molossoïdes noires comme l'enfer. Il en chope un par les babines et le secoue affectueusement en lui susurrant des mots d'amour ("T'es un petit connard, toi !!!"). Le clebs en remue la queue de contentement. Il cherche (le maître, pas le chien) quelqu'un pour les garder le temps du concert mais cela n'a pas l'air évident. Il repart avec ses deux clébards.
Derrière nous, la file d'attente s'est gonflée et je constate que mon groupe favori a toujours ses adeptes. Soudain, les grilles s'ouvrent et les videurs nous permettent d'entrer au compte-gouttes. Je me précipite juste devant la scène, en plein milieu, bientôt rejoint par mon pote Richard. Là, on ne pourra rien louper, on ne peut pas être plus près. En un instant, nous sommes entourés par une marée humaine et nous avons du mal à remuer ne serait-ce qu'un orteil. Tant pis pour le stand des T-shirts, on verra ça après le show. Entre deux plaisanteries, nous patientons jusqu'à la première partie assurée par le groupe lillois Stocks (nordiste par la naissance mais sudiste par l'esprit et la musique). Le combo français nous envoie un set bien senti d'où transpire le feeling, associé à la technique et au professionnalisme. Rien à dire! Christophe Marquilly balance de bons solos, alternant Gibson Les Paul et Fender Stratocaster. Cela faisait quelques années que nous n'avions pas eu droit à une première partie digne de ce nom, en rapport avec la tête d'affiche. Bravo! Les gars de Stocks assurent, tout simplement. La salle ne s'y trompe pas et salue leur prestation par de chauds applaudissements.
Le hors-d'œuvre terminé, nous attendons avec impatience le plat principal. Un roadie, venu tester le son des instruments, s'empare de la basse et fait claquer une ou deux cordes. L'ampli n'est pas repris dans la sono pour le moment mais son volume est déjà énorme. J'ai l'impression que Mike Tyson vient de me décocher un direct à l'estomac. Richard me lance avec humour: "On va mourir!". Si tous les amplis sont au même niveau, cela me paraît fort possible.
Peu après, un projecteur illumine la scène et le grand Dany (connu de tous les hardos de l'époque), un des créateurs d'Enfer Magazine, vient nous dire quelques mots, nous rappelant au passage que le premier numéro d'Enfer avait consacré un article à Molly Hatchet, suite au concert de la Mutualité en 1983. Puis les lumières s'éteignent et une musique style "Guerre des Etoiles" retentit dans les enceintes. Un roadie beugle dans le micro: "They're back to kick your ass! Would you please welcome Molly Hatchet!". Les musicos investissent la scène. Danny Joe Brown est toujours aussi grand. Fidèle à lui-même, il a toujours sa moustache et ses cheveux mi-longs, avec un bandana lui barrant le front. Il est vêtu de noir et porte des bottes blanches. On dirait vraiment un gitan. Duane Roland est entièrement habillé de cuir noir et s'est fait boucler la tignasse. Riff West, le bassiste en titre depuis 1983, et Bruce Crump, le batteur de la première heure, arborent une coupe de cheveux selon la mode en vigueur à Los Angeles. Ils ont tous un peu changé leur style vestimentaire mais qu'importe. Le Sud est de retour! On va se faire botter le cul, ça c'est sûr! Le groupe démarre avec "Bloody reunion" et, d'entrée de jeu, le show s'annonce costaud. Le son est béton et la voix de Danny Joe est toujours aussi rauque (n'roll). La section rythmique basse-batterie cartonne efficacement. John Galvin tient sa place aux claviers et les guitares se démarquent bien de l'ensemble. Bobby Ingram, le petit nouveau, joue sur une Hamer blanche tandis que Duane Roland gratte une Hamer noire (il alternera avec une Gibson Les Paul et une Flying V).
Danny Joe Brown lâche quelques cris et apostrophe la foule qui lui répond par des cris sauvages. L'enchaînement se fait directement avec "It's all over now". Je note un léger écho sur la voix de Danny Joe qui fait chanter la salle en chœur sur le refrain. Le titre s'achève sur des phrases alternées entre les deux guitaristes et le clavier. Danny Joe nous lance: "Bonswoar! How the hell are you doin'? You want to rock n' roll?". Nous gueulons notre approbation. Il annonce "Take miss Lucy home", un rock bien classique du dernier album. John Galvin balance des pêches de cuivres et des phrases de piano tandis que Duane Roland et Bobby Ingram se succèdent aux solos.
Danny Joe nous hurle "Rock’n’roll! Rock’n’roll!" et la bonne intro sudiste de "Find somebody new" vient nous chatouiller les feuilles. Bobby Ingram se charge du solo.
Danny Joe Brown nous remercie en hurlant "Thank you!". Il nous annonce un morceau du premier album de Molly Hatchet et nous dit que c'est un peu de leur foyer qu'ils emmènent partout avec eux. Il nous demande si on va s'en souvenir ("See if you remember this one"). Dès l'intro de "Gator country", la salle hurle comme un seul homme. Même avec seulement deux guitares, ça tient la route. Les gratteux se partagent les solos avec quelques acrobaties musicales de Bobby Ingram.
Puis c'est "Bounty hunter" qui déboule à cent à l'heure, ce qui n'empêche pas la salle de chanter sur le refrain.
Danny Joe annonce "I can't be watching you", un boogie dans la vieille tradition sudiste (sans doute le meilleur morceau du dernier album). John Galvin joue l'intro au piano et le public tape dans ses mains avec ferveur. Nous avons droit à un solo de piano, un solo de slide de Duane Roland et un solo "killer" de Bobby Ingram (comme sur le disque). Puis c'est le break au piano et Danny Joe nous mâchouille un harmonica bluesy à souhait. Pas de doute, le Sud est bien de retour! Les deux guitaristes alternent des phrasés bien sentis, comme seuls les rednecks savent le faire puis c'est le retour au thème à la tierce jusqu'à la fin.
John Galvin égrène quelques arpèges au piano puis, à l'orgue, épaulé de la batterie, balance l'intro de "Dreams I'll never see" des Allman Brothers. La salle hurle de plus en plus fort, au comble du délire. Danny Joe surenchérit: "I can't hear you". Qu'à cela ne tienne, puisqu'il ne semble pas nous entendre, nous redoublons nos hurlements. Ce soir, tout le monde connaît les paroles et chante avec Danny Joe. Avant le deuxième couplet, il nous demande comment nous allons ("How do you feel?"). La salle gueule à lézarder les murs. Puis le chanteur nous annonce le solo: "We gonna let Brother Duane play for you!". Nous applaudissons Duane Roland qui nous gratifie d'un solo digne de la grande époque. Pas de doute, il a toujours été un pilier de Molly Hatchet. Au moment où le solo décolle, un écho souligne l'envolée de guitare. Par contre, le dernier refrain pâtit légèrement d'un trop plein d'écho sur la voix de Danny Joe. L’Élysée Montmartre résonne sous nos hurlements.
C'est ensuite "Beatin' the odds" qui vient nous défoncer la tronche. Certes, nous avons droit à une version modernisée avec un fond d'orgue, mais qui cartonne efficacement et ravit le public. Puis Bobby Ingram gratte deux fois de suite la première mesure de "Flirtin' with disaster" et attend la réaction du public qui pousse des cris dantesques. Le morceau démarre, John Galvin soulignant l'ensemble d'une ligne d'orgue. Le premier solo est à la charge de Bobby Ingram. Danny Joe Brown siffle et Duane Roland attaque le deuxième solo puis les deux guitaristes se rejoignent à la tierce. Danny Joe nous demande ce qu'on en pense ("What do you think, Paris?") et nous hurlons notre contentement. Nous reprenons en choeur "Ooh Ooh Bop Bop Yeah" et c'est la fin. Les musiciens quittent la scène. En sortant, Duane Roland balance son médiator juste aux pieds de mon pote Richard qui s'en saisit immédiatement. Connaissant mon admiration pour le groupe, il me le refile sans hésiter; ça, c'est un copain! La salle résonne de longs applaudissements et de cris enfiévrés. Nous gueulons à pleins poumons; les murs de l'Elysée Montmartre en tremblent.
Danny Joe Brown revient avec son gang et il nous demande si ça va. Avec son accent du Sud ça donne: "Sa vé? Sa vé?". Nous répondons en beuglant comme des dingues. Il nous remercie et nous dit qu'on se paye toujours du bon temps en France ("Thank you so much! We have a good time tonight! Always in France!"). C'est sympa, merci. Danny Joe présente le groupe: Duane Roland (qui lâche quelques phrases de guitare), Bruce Crump "from Detroit Michigan", John Galvin (qui nous joue l'intro de "Smoke on the water" de Deep Purple), Riff West "from Corpus Christie Texas" et "from another planet, Bobby Ingram on lead guitar". Il nous rappelle que tous ce petit monde forme Molly Hatchet ("I'm Danny Joe Brown! I'm from Jacksonville, Florida! Me and my friends are Molly Hatchet!"). Il souffle l'intro de "Harp Jam" dans son harmonica et le public tape généreusement dans ses mains. Et nous avons droit à "Whiskey man". John Galvin rajoute des pêches de clavier ça et là. Les gratteux attaquent à la tierce, s'échangent des chorus de guitare et repartent sur le thème à la tierce. Danny Joe conclut ce titre sur une phrase d'harmonica puis il nous demande si nous sommes fatigués et si nous en voulons encore ("Are you a little bit tired? Do you want boogie some more?"). Evidemment que nous en redemandons! Et nous le crions haut et fort. Alors le groupe nous envoie "Boogie no more" en pleine face. Les mecs de Molly Hatchet font traîner le break avec quelques licks de guitare et des pêches de batterie. Puis Danny Joe hurle "Come on!" et c'est parti pour la cavalcade finale. Bobby Ingram se charge du premier solo et Duane Roland enchaîne sur le chorus à la slide; puis ils amorcent le célèbre gimmick à la tierce qu'ils font tourner pendant plusieurs mesures. Danny Joe Brown gueule "Give it one more time!" et c'est reparti de plus belle. Bruce Crump martyrise sa batterie et Riff West arrose un maximum avec sa basse. Bobby Ingram termine sur une phrase de style hard rock. Huit minutes de pilonnage en règle! Nous accusons le coup. Danny Joe nous dit bonsoir et le groupe se barre dans les coulisses. Alors, le public se déchaîne et gueule à tout rompre. Et s'ils ne revenaient pas pour un autre rappel? On hurle, on tape des pieds, on frappe dans nos mains. Il faudrait que les gars d'Hatchet soient sourds ou sans cœur pour nous faire ce coup là.
Fort heureusement, ce n'est pas le cas et le combo retourne sur scène. Danny Joe nous dit qu'ils ont le temps de nous en jouer une petite dernière ("We got time for one more!") et nous demande si nous prenons du bon temps ("Do you have a good time?"). Notre réponse ne lui laisse aucun doute à ce sujet. Mais, en vieux routier du rock n’ roll qui sait chauffer une salle, il en rajoute encore un peu, juste pour le fun: "Are you ready? Are you ready?". Oh oui, nous sommes prêts. Et plutôt deux fois qu'une. On pourrait largement tenir jusqu'au bout de la nuit. Nous hurlons à nous en décrocher les mâchoires.
Et c'est "There goes the neighborhood", un rock à la sauce Chuck Berry arrosé au hard rock sur-vitaminé, qui nous achève. Bobby Ingram envoie un bon solo et sur la fin, il se coiffe avec le Stetson d'un roadie. Danny Joe Brown nous exhorte à chanter sur le refrain ("Come on, Paris! Sing it!") et nous nous exécutons sans nous faire prier. Les gars de Molly Hatchet sont des farceurs. Ils nous font le coup de la fausse fin. Le morceau s'arrête; seul subsiste un larsen de guitare. Puis, ils reprennent de plus belle. Bobby Ingram joue comme un dément jusqu'au final. Cette fois, c'est la bonne. Danny Joe nous lance un "Bonswoar la Fwance!" avec son accent sudiste et c'est la fin du show. Les musicos saluent et quittent la scène sous une avalanche d'applaudissements. Le public gueule "Une autre! Une autre!" mais c'est terminé. Bilan de la soirée: j'ai assisté à un super concert, j'ai vu mes idoles de près, j'ai pris des photos (en fait, deux pelloches) et j'ai le médiator de Duane Roland. Encore un grand moment dans la vie d'un « Southern rocker »! Mes oreilles sifflent et ma gorge me brûle à force d'avoir crié. En bref, je suis heureux.
L’Élysée Montmartre se vide lentement. Avec Richard, nous nous dirigeons vers le stand des T-shirts mais c'est trop tard; il n'y en a plus un seul. C'est dire le succès du show. Je me rabats sur un badge et un bandana. Nous sortons et allons vider quelques mousses à la santé du rock sudiste ressuscité, tout en commentant le concert. Et ce, malgré la fatigue qui nous gagne (le lendemain soir, j'assisterai au show de Doctor Feelgood au New Morning mais ça, c'est une autre histoire).
Je savoure l'instant présent. Mon groupe fétiche semble reparti sur les rails et ma musique préférée n'est pas morte. L'avenir paraît soudain plus radieux!
J’ignore encore que je viens d’assister au dernier grand concert de Molly Hatchet en France.
Depuis cette soirée trépidante, le temps a fait son œuvre. Vingt huit ans se sont écoulés. Danny Joe Brown, Duane Roland, Bruce Crump et Riff West sont partis explorer le Pays des Ombres.
Le rock sudiste est retourné dans la clandestinité et devenu un style musical pour les spécialistes et les collectionneurs.
Moi, j’ai vieilli, comme tout le monde. Ce qui se passe actuellement dans le domaine musical me laisse complètement froid et je ne mets pratiquement plus les bottes dans une salle de concerts. Il y a une dizaine d’années, j’ai eu la chance de récupérer l’enregistrement du show grâce à mon pote Mash (le premier bassiste de Calibre 12 qui, plus tard, a fait le bonheur de tous les « Southern rockers » français avec son fameux site internet Mashsouthern). J’ai pu ainsi constater avec surprise que je n’avais pas oublié grand-chose et que tout était bien comme dans mes souvenirs. Quelquefois, quand la nostalgie me prend, je me repasse cette bande en regardant mes vieilles photos prises à l’Élysée Montmartre. Cela peut paraître idiot mais ce retour dans le passé me réchauffe le cœur. L’esprit serein, je peux me dire : « J’y étais ! ».
Olivier Aubry
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